Ce n'est pas par le biais d'un journal intime que l'on prend connaissance des états d'âme, du malaise, de la réflexion du héros principal Winston Smith/Fabian Finkel mais par la discussion avec l'incarnation de sa "mauvaise pensée"/Guy Pion (également O'Brien). En fait une pensée "déviante" à propos de la société dont il fait partie : un état-parti souverain jouissant d'un contrôle total, absolu, et... terrifiant de ses citoyens placés sous surveillance permanente (télécran, androïdes...)
Quand Orwell évoque ce monde postcataclysmique, c'est en chiffres, trois grands états-blocs: Extasia, Eurasia et ici: Océania ; trois classes: Parti Intérieur, Parti Extérieur, prolétaires ; quatre ministères: de l'Abondance (pénuries programmées), de la Paix (états toujours en guerre), et surtout ici les Ministère de la Vérité et Ministère de l'Amour.
Le grand Parti unique, l'"Angsoc", a pour dirigeant "Big Brother" qui exerce un contrôle technologique parfait de tout citoyen, ainsi privé de liberté de pensée. Isolé, Winston rencontrera quand même un autre esprit libre en la personne de Julia/Muriel Legrand, à leurs (grands) risques et périls...
Le scénographe Ronald Beurms profite une fois encore des possiblités de machinerie qu'offre le théâtre du Parc ("une grande tradition du décor", selon son directeur Thierry Debroux) pour impressionner le public par un dispositif en forme d'énorme cube métallique (un Rubik's cube ?) divisé en plusieurs "cellules" plus petites et pivotant au gré des (24) différents lieux.
Ses costumes, destinés aux acteurs muets - Pauline Bouquieaux, Johann Fourrière, Laurie Gueantin, Vanessa Kikangala, Barthélémy Manias-Valmont, Romain Mathelart, Franck Moreau et Lucie Verbrugghe - sont ingénieux (tablette et led incorporés) et tristes à souhait, plus encore que ceux des personnages principaux.
L'ensemble qui fait, bien sûr, la part belle aux effets technologiques, plonge le public dans un climat oppressant que de temps à autre, des épisodes chorégraphiés, musicaux et vocaux viennent quelque peu tempérer.
"Le crime de penser n'entraîne pas la mort. Le crime de penser est la mort."(Orwell)
On peut dire d'Orwell qu'il était un fameux visionnaire... qu'un certain pays asiatique a réalisé ce qu'il avait imaginé et qu'un autre, un continent, a retenu la leçon de la propagande "à large spectre".
En 1984, "Big Brother" encourage les citoyens à s'espionner pour maintenir l'ordre, à avoir des enfants, mais à ce qu'ils deviennent, eux aussi, des espions. Ces enfants comme Lisbeth Parsons/Ava Debroux, Laetitia Jous ou Babette Verbeek en alternance, observent le monde qui les entoure et ne manqueront pas de dénoncer leurs voisins suspects, y compris sa propre mère Magda Parsons/Perrine Delers dans le cas de Lisbeth. La haine est valorisée.
En 2019, en Corée du Nord, Kim Jong-Un avec son "Ministère de la Sécurité du peuple" veut la loyauté et l'obéissance des citoyens et permet la haine de tout ce qui ne serait pas conforme au Parti, avec pour conséquences la torture et le meurtre.
En 1984, lorsque des citoyens sont surpris en train de se livrer à des activités réprouvées par le gouverment, ils sont envoyés au "Ministère de l'Amour" où ils sont torturés, l'exécution de la peine capitale est commune aux citoyens et leurs enfants aiment généralement que "l’ennemi" soit pendu à mort.
En 2019, en Corée du Nord, les personnes soupçonnées d'activités suspectes sont envoyées vers des camps de concentration, où elles vont vivre un enfer.
En 1984, Winston est employé au Ministère de la Vérité et chargé de réécrire l’Histoire, de manipuler, supprimer ce qui est contraire à la doctrine du Parti. Un de ses collègues, Syme/Pierre Lognay, en charge du dico officiel, doit élaguer et effacer "les mots inutiles"("novlangue").
Sans mémoire du passé, sans mots et leurs nuances pour exprimer sa pensée, le citoyen l'esprit vacant dans sa "maison intelligente" super équipée... peut accepter la notion de "vérités alternatives" ou ces "fake news" ("infox") chères, en 2019, à un certain Donald Trump.
Mais la petite Lisbeth fredonne "Ne pleure pas Jeannette"? Cette chanson du répertoire traditionnel français serait-elle un message d'espoir subliminal signifiant que tout n'est pas perdu tant qu'il restera quelques bribes de mémoire, surtout chez elle, incarnation de cette jeune génération avide de châtiment public ?
Source : www.ruedutheatre.eu Suivez-nous sur twitter : @ruedutheatre et facebook : facebook.com/ruedutheatre