La proposition de départ était on ne peut plus alléchante. Un voyage de presse au Luxembourg, dans ce pays de tous les mystères fiscaux qui tient entre 50 km de largeur et 80 km de hauteur, encastré entre la Belgique, l’Allemagne et la France. Au cœur même d’une ville qui surprend par la majesté de son architecture, par la richesse de son atmosphère et par l’accueil chaleureux de ses habitant.e.s. Prévenant.e.s, à l’écoute, veillant au bien-être des journalistes parisiens venus assister à la cinquième et dernière représentation de l’adaptation de BREAKING THE WAVES, avant une tournée européenne.
Un GRAND théâtre
Après un tour de 2h dans un Luxembourg calme, à découvrir les somptueux vitraux de la Cathédrale Notre-Dame, à contempler dans les hauteurs du ciel la sculpture dorée qui couronne le Monument du souvenir puis à adminrer la magnificente devanture du Musée de la Banque, nous poussons les portes du Grand Théâtre de la Ville du Luxembourg.
En feuilletant le très chic livret de la programmation 2018-2019, nous prenons conscience de la qualité des spectacles présentés et de leur éclectisme : ballet, danse, opéra, théâtre et théâtre musical. Avec des têtes d’affiche éloquentes : Abou LAGRAA, Alexandre DESPLAT & SOLREY… Lorsque l’on rencontre Tom LEICK-BURNS, le directeur du théâtre, un peu plus tard dans la soirée, ce quarantenaire affable explique son envie de proposer un théâtre « collaboratif ». Il précise même à ce sujet avoir créer un « lab » dans l’autre théâtre qu’il dirige, le théâtre des Capucins, lieu de création expérientiel qui accueille des jeunes talents et des compagnies iconoclastes.
Extrémisme sacrificiel
Pour BREAKING THE WAVES, le choix est allé de soi. Tom LEICK-BURNS connaît la metteure en scène Myriam MULLER de longue date. Au fil des années, cette comédienne made in Luxembourg est même devenue une artiste résidente, présentant régulièrement ses adaptations dans ce vaste théâtre de la Ville du Luxembourg. Qu’il s’agisse de MESURE POUR MESURE de SHAKESPEARE ou encore LOVE AND MONEY de Denis KELLY. Des pièces jamais faciles, reconnaît-elle lors d’un échange qu’elle nous accorde avant le début de la représentation de BREAKING THE WAVES. Des pièces socio-politiques surtout pas « consensuelles » et qui provoquent le « débat ».
Alors, pourquoi BREAKING THE WAVES et pas DANCER IN THE DARK ou DOGVILLE ? Parce qu’elle y voit là, plus qu’ailleurs, le don de soi dans sa forme la plus absolutiste : jusqu’où peut-on aller par amour ? À quel miracle est-on prêt à croire ? Selon Myriam MULLER, Bess – la protagoniste du film – est habitée d'une dévotion qui va au-delà de tout entendement. Si ce n’est une croyance, non pas divine, mais transcendentale.
Pour nous qui supportons assez mal les cadres hétéronormatifs ou religieux, il nous a été difficile de concevoir le « féminisme » de cette adaptation, comme l'évoque la metteure en scène. Une femme qui meurt d’amour pour un homme, soumise à son amour au point de ne plus rien envisager par elle-même, dans l’attente permanente de son retour, dans l’obéissance aveugle lorsqu’il lui demande, alors accidenté, de se prostituer pour qu’il puisse continuer de jouir à travers ses récits… C’est compliqué.

Agacement sublimé
On ne vous cache pas avoir été agacé par le personnage de Bess, à la fois petite fille capricieuse, schizophrène mystique et nymphomane compulsive. Mais aussi par ce pasteur horriblement docte et sa congrégation coercitive, par cette mère désséchée et misogyne, et par ce Jan, l’homme de l’extérieur, l’homme de la plateforme fort, celui qui travaille, celui qu'on porte aux nues… L’agacement s’apaise quand Dodo rentre en scène, la belle-sœur, infirmière, veuve mais indépendante, éclairée, lucide : c’est elle qui essayera de sauver et Bess de ses tourmentes psychiques, et Jan de sa paralysie corporelle. Une femme dont la force et la résilience contraste avec cette image divinement pitoyable renvoyée par Bess. Mais ça, c’est l’histoire. Et l’histoire de BREAKING THE WAVES – comment pourrait-on traduire cela ? Casser les codes, peut-être ? – divise.
Là où notre enthousiasme est en revanche indéniable, c'est dans les choix de mise en scène. Déjà, une distribution irréprochable, 9 comédiens, dont 3 femmes, tous engagés profondément dans leur rôle, vibrant.e.s, et pour certain.e.s, charismatiques (la mère et le pasteur, en l’occurrence). Avec une composition tout en nuances qui alterne entre la corporalité d’un jeu à l’allemande et la rigueur textuelle d’un jeu à la française. Ensuite, l’atmosphère, oppressante avec ces chaises, cette croix, cette table en formica, et ces panneaux en fond de scène desquels on rentre et sort par un éclairage en arrière-scène. Ll’étouffement ressenti par Bess est rendu palpable par ce huis-clos savamment composé.
Enfin, on reconnaît l’esthétisme habile des jeux de caméra qui diffusent en grand des images en temps réel de la pièce via des gros plans sur des visages tour à tour ahuris, joyeux ou punitifs. Cette imprégnation du visuel confère à la pièce une étrangeté profonde, comme si l’histoire se mettait elle-même en abîme, dans une logique d'annihilation.
Les deux heures qui passent éprouvent notre corps et notre conscience, allant jusqu'à toucher quelque chose d’intimement insupportable. Et en cela, cette adaptation de BREAKING THE WAVES - tout comme le film - mérite d’être vue et applaudie.
Cécile Strouk, envoyée spéciale du Luxembourg
Source : www.ruedutheatre.eu Suivez-nous sur twitter : @ruedutheatre et facebook : facebook.com/ruedutheatre