Critique - Théâtre - Paris
Le Garçon du dernier rang
Classe Supérieure
Par Franck BORTELLE

Un prof de français se lamente, en corrigeant ses copies, de n’avoir à faire qu’à des « barbares » lorsqu’il tombe sur la dissertation d’un élève auquel il n’a jamais vraiment prêté attention. Subjugué par cette prose, il se laisse embarquer dans un jeu démoniaque que mène l’adolescent en écrivant un roman-feuilleton issu de ses itératives visites dans la famille de Rapha, camarade de classe auquel il donne des cours de maths.
Il occupe la place du cancre dans la classe : c’est le plus doué de tous. Il écrit divinement bien : c’est pourtant en maths qu’il est incollable. Il est aussi intello que son pote est une brute épaisse éprise de football. Le texte de Juan Mayorga navigue au gré de multiples dichotomies comme ces trois-là. Ce tangage entre Charybde et Scylla où viennent s’immiscer manipulation et fascination débouche in fine sur le terrible constat d’une solitude absolue de tous. Vivant leur existence par procuration (le prof comme mentor de l’élève, l’élève qui fantasme sur la femme de son pote, son pote accroché à son écran de télévision, la femme du prof sclérosée dans son univers minimaliste de l’art) tous les personnages se débattent dans un monde très circonscrit. A l’exception de quelques rares allusions fantomatiques et métonymiques au monde extérieur (les footballeurs à la télé, les autres élèves n’existant qu’à travers leur copie, etc.), ces six êtres vivent en autarcie avec leurs frustrations, leurs fantasmes, leurs jeux de pouvoir et d’humiliation.
Une mise en scène très aérienne
Pour suggérer cet enfermement, Jorge Lavelli propose une utilisation astucieuse de l’espace scénique. L’immense scène est totalement investie par les six comédiens et le décor plus que modeste. Deux pans de murs amovibles et un immense rideau de perles en fond de scène, quelques chaises le plus souvent accrochées au mur. Juste le nécessaire pour permettre d’écouter sans être vu, souligner les effets de miroirs déformants qu’induit le texte et la manipulation à tous les niveaux qu’orchestre l’adolescent. La scénographie privilégie le mouvement perpétuel et la totale continuité de l’action, comme si le lieu (pourtant multiple) était unique. Cette unicité spacio-temporelle confère à l’ensemble du spectacle une légèreté quasi chorégraphiée qui sonne comme un contrepoint nécessaire à l’intensité du texte.
Les comédiens étonnent, éblouissent et même si on sent une tension parfois chez certains, ils livrent un jeu d’une belle maîtrise. Mais si l’harmonie est au rendez-vous, c’est incontestablement à Sylvain Levitte, que revient la palme. De sa silhouette filiforme et son air de premier de la classe, de sa puissance de jeu et de son énergie débordante, il conduit le personnage-titre tout en ambigüité, vers la manipulation sans jamais perdre une once de crédibilité. Il est le pivot de ce texte qui aborde tant les carences du système éducatif (grand sujet en vogue en ce moment) qu’une habile réflexion sur l’art et surtout l’écriture dont le processus est le centre même de ce spectacle qui mérite amplement un prix d’excellence.
Source : www.ruedutheatre.eu Suivez-nous sur twitter : @ruedutheatre et facebook : facebook.com/ruedutheatre