Ils sont cinq pour incarner ces gens de l’ombre. Ils entretiennent leur propre mirage. Qu’ils forment une équipe solide et solidaire même si le chef reste le chef. Qu’ils ont plaisir à donner du plaisir même si les cadences sont de compétition. Qu’il n’y a pas d’inégalité entre eux même si certaines tâches sont dévalorisantes. Qu’ils sont libres même si les contraintes sont impératives.
Commencée par un discours de guide face à des touristes invités, la pièce se poursuit par des dialogues entrecroisés qui dévoilent petit à petit les failles de l’organisation, les blessures intimes des uns et des autres, les inévitables mesquineries qui suscitent des tensions supplémentaires. Se révèlent ainsi les caractères individuels et les liens émotionnels qui les relient ou les repoussent.
Les dits sont bien dits. Les non-dits s’entendent derrière un mot, un geste, une attitude, un regard, une manière de marcher. Rien n’est outré. Nulle inutile dramatisation. Seulement de petites touches, des escarmouches feutrées épicées de quelques velléités plus virulentes. Une tranche de vie, quoi !
Et ce qui se déroule dans l’espace virtuel d’au-delà des coulisses, derrière cette porte automatique qui mène vers le parc et la piscine des orques, le public le perçoit. Et pas uniquement parce qu’il y a une bande son pour créer le climat.
Parce que les comédiens (trois femmes et deux hommes) rendent crédibles leurs entrées et sorties de plateau, que les actes qu’ils posent et qu’on voit lorsque l’accès est relevé sont explicites. Au point d’ailleurs que la cloison escamotable devient rapidement un personnage supplémentaire dont les levées et les descentes rythment les dialogues.
Les deux univers, celui des travailleurs de l’ombre et celui des joyeux touristes accourus en famille, sombrent soudain dans le drame lorsque l'animatrice vedette se fait dévorer par un des cétacés du show animalier au milieu de son numéro de cirque, de sa prestation conviviale, de la foule sidérée.
Un mirage dissous, une lucidité à assumer
Cinq ans plus tard, revoici le même lieu. Celui de la désillusion. Il est déserté. Seul un des salariés s’occupe de la maintenance minimale de ce qui reste du parc d’attractions. Les autres repassent pour se rendre compte. Ils se retrouvent. Ils ont vécu une autre vie. Ils sont différents avec une personnalité qui est fondamentalement la même. Une étrangère s’ajoute à eux : la sœur de la victime décédée.
C’est un autre tableau de société qui se dessine. Qui pose les questions des loisirs lucratifs, des travailleurs de seconde classe, de la protection animale et de l’écologie, de ce qu’on fait de sa vie quand on a été bien malgré soi protagoniste d’un fait divers tragique et qu’on se reproche de n’avoir pas été à la hauteur de la situation.
Rassurez-vous, « Parc » n’est pas une pièce à thèse malgré les apparences. Les personnages sont humains, touchants, drôles par moments, aux prises avec une existence qu’ils maitrisent mal comme la plupart d’entre nous. Ils sont un miroir placé devant les spectateurs. Même conçue pour avoir l’attrait d’un spectacle avec ses rebondissements, ses tensions, sa progression dramatique, ses accessoires significatifs, cette pièce reste d’un réalisme qu’on qualifiera volontiers d’objectif.