"Le noir" se fait dans la salle mais le grand plateau du KVS reste sombre, juste un petit projo, une petite lampe bien connue des "gens de théâtre", appelée "la servante", qui veille en permanence pour que, parait-il, les fantômes des personnages représentés ne viennent perturber les spectacles à venir.
Des "coulisses", "deuxième plan jardin", elle arrive, et c'est sa "première entrée en scène", moment en perpétuel renouveau d'émotion. A l'instar de l'écrivain devant sa page blanche, l'artiste connait "le trac" devant son principal partenaire, tapi dans l'ombre de la salle: le public.
"Elle", c'est Chris Lomme, pas une diva capricieuse mais une "Bekende Vlaming" (Flamande Connue"), une star de la télé et du cinéma flamands, une fidèle du KVS mais aussi d'autres compagnies théâtrales: "NTGent" et "'t Arsenaal" entre autres... Elle retrouve "les planches" qu'elle aime, juste pour "tirer sa révérence", dire adieu...? On se met à espérer qu'il ne s'agit que d'un au-revoir momentané malgré les 80 printemps qu'elle affiche avec une sérénité teintée de nostalgie.
Un charisme évident...
Le public sous le charme apprécie sa voix chaude qui donne une version envoûtante de "Les feuilles mortes", et il ne veut voir que ses pas de danse sur "Save the last dance for me" et non le regret que laisse planer ce titre...
Pourtant elle assume le futur et ne craint pas de s'adresser à Dieu lui-même aux portes du paradis : "On arrive chez Dieu et on se dit :"Nom de Dieu, tu existes ! Dieu fronce les sourcils, il secoue la tête et répond : non. Dieu dit : Non pas vraiment mais on peut peut-être faire comme si". Faire comme si, répond-on alors un peu fatigué. Je n'ai rien fait d'autre dans ma vie. Je n'en ai donc pas encore fini avec ça ? Bien que...Souvent, c'était pour de vrai".
Le texte général, réaliste et poétique à la fois, est de Michael De Cock, ainsi que la mise en scène, avec une magnifique scénographie de Stef Depover et les conseils de la chorégraphe Lisbeth Gruwez pour entourer cette grande dame de la scène flamande...
Elle, elle cite Marivaux: "ils font semblant de faire semblant" et elle regarde en arrière... Un paquet d'habits tombe des "cintres"... Elle voit ses tout débuts : Antigone, son premier rôle, les classsiques ("Macbeth", "La Cerisaie") ou les autres, du petit au grand écran, jusqu'à celui qu'elle joue ici et maintenant: Chris Lomme jouant Chris, "une comédienne qui fait ses adieux à la scène"...
Elle se confie, discute, répond à des questions du genre: "A 80 ans, qu'est-ce qu'elle a envie de dire à propos de l'amour, du sexe, de la solitude, du vieillissement, de la mort ?" ou "Si elle était capable de tout refaire, ferait-elle d'autres choix?" Et là, c'est sa vie privée qu'elle évoque, non sans malice et beaucoup de complicité : les joies et les tristesses, petites et grandes mais une vie qu'elle dit "remplie d'amour".
Son public, debout, au moment des "saluts", a sincèrement et longuement remercié celle dont a pu dire qu'elle fait désormais partie de la mémoire collective flamande.