Dans la foulée de Une longue peine, créé en avril 2016 sur et avec ceux qui ont connu la prison, Didier Ruiz consacre aux transsexuels le second volet d’un diptyque sur les "invisibles". En fait, il s’agit du même travail sur l’enfermement, en l’occurrence ceux et celles qui ne se reconnaissent pas dans le corps avec lequel ils sont nés, ni dans l’identité homme ou femme qui leur a été attribuée. Les « innocents », comme il nomme les non-professionnels avec qui il travaille, sont composés ici de sept participants qui sont sortis de l'étau binaire masculin/féminin et parlent au public de leur expérience vécue, de la place qu’il se sont taillée dans la société. Loin de tout voyeurisme, des clichés et des extravagances queer du monde de la nuit, les intervenants, venus de Barcelone, s’expriment sobrement, debout face au public, en catalan ou en espagnol selon leur culture (spectacle surtitré).
En réalité, il s’avère que ces trois hommes et quatre femmes ont une vie sociale, familiale et professionnelle assez ordinaire. La benjamine, Leyre, a 22 ans, l’aînée, Clara, 60. Toutes et tous ont un emploi tout ce qu’il y a de plus « normal » : dessinateur, chauffeur de bus, coiffeuse, styliste... Certains ont entrepris ce qu’ils appellent leur « transition » depuis longtemps, d’autres plus récemment. Ainsi Clara, qui fut autrefois un homme marié à une femme, a commencé sa transition en même temps que les répétitions, en novembre 2017.
La vraie nature
Sur un plateau nu en demi-cercle bordé d’un grand voilage clair, ils apparaissent et s’éclipsent puis reviennent, seuls, par petits groupes ou tous ensemble, et livrent sur fond de musique électronique douce, des bribes de vies marquées par la souffrance et la rédemption. Souffrance de ceux qui se sentent enfermés dans un corps étranger qui leur est imposé et ne leur convient pas. Puis rédemption et délivrance grâce à la décision de suivre sa vraie nature, d’être enfin soi-même et de faire ce qu’il faut pour cela. Entrecoupées d’images d’animation commandées à des jeunes créateurs, ces récits relativement courts sont empreints d’une extraordinaire sérénité. On sent ces trans en pleine harmonie avec le nouveau corps qu’ils se sont choisis, quelle que soit la nature des transformations opérées par la chirurgie.
Pour émouvants qu’ils soient, ces témoignages parfois débordants d’émotion, n’excluent pas la légèreté. A les entendre et à les voir on se convainc que, comme le dit l’un d’entre eux, « Pas besoin d’avoir un zizi pour être un homme ! ».