Après Traviata, vous méritez un avenir meilleur, l’hiver dernier, Benjamin Lazar revient sur la scène des Bouffes du Nord, et à son goût pour l’esthétique baroque, avec un spectacle musical dont il a le secret. Bien connu pour faire son miel de créations littéraires et/ou musicales, il butine cette fois sur l'Heptaméron, recueil de nouvelles galantes de Marguerite de Navarre. Et sur un florilège de madrigaux italiens de l’âge baroque. Complexe dans sa conception, et même cérébral, le spectacle entrelace jeu théâtral et jeu musical, associant huit chanteurs des Cris de Paris et trois comédiens du Théâtre de l'Incrédule.
Sous-titrée « Récits de la chambre obscure », la pièce a le mérite de faire découvrir (et apprécier) l’excellente plume de Marguerite de Navarre, auteure d’une œuvre poétique et théâtrale d’importance mais connue des seuls spécialistes. Sœur de François 1er, cette reine de Navarre et femmes de lettres publie en1559 un recueil de nouvelles qui, sur le modèle du Décaméron de Boccace, conte des aventures vraies arrivées (ou rapportées) aux protagonistes bloqués sept jours (d’où le titre Heptaméron) par des inondations. Pour passer le temps pendant leur réclusion, ils égrènent le récit d’aventures galantes, parfois même gaillardes, teintées de cruauté, de bouffonnerie et de mélancolie.
Chambre d'échos
Inspirée d’esquisses de Léonard de Vinci et de gravures de Dürer, la scénographie d’Adeline Caron figure un plancher de bois creusé par endroits de cavités recouvertes par des grilles et fermées (ou non) par des trappes. Pas vraiment inspirant, le tout, sur fond de rideau en plastique où son projetées des vidéos, veut évoquer la page blanche de l’écrivain et la chambre obscure du peintre où viennent se projeter les images du monde qu’il veut reproduire.
La scène est conçue comme une chambre d’échos où s’entremêlent et se répondent les textes de Marguerite de Navarre, des récits personnels des artistes présents sur scène (épisodes cocasses ou incongrus de leur vie intime ou de leurs rêves) et des madrigaux italiens des XVI et XVIIème siècles, poèmes chantés qui se situent juste avant la naissance de l’opéra, dont beaucoup signés de Monteverdi. Dans les récits alertes comme dans les chants sublimes brûle la flamme de l’amour qui consume et appelle la délivrance par la mort.
Interrompant le flux des récits, un visiteur inconnu se présente soudain, on ne sait s’il est réel ou si on le rêve. Lui non plus d’ailleurs ne le sait pas et l’avoue. C’est Geoffroy Carey qui, avec sa silhouette dégingandée et son accent venu d’ailleurs, raconte de savoureuses anecdotes personnelles. On est dans une bulle entre plusieurs mondes, plusieurs styles et plusieurs époques. Une promenade hors du temps et des frontières artistiques et sociales, savante et sensuelle, qui intéresse surtout pour la performance des chanteurs.