Critique - Théâtre - Boulogne-Billancourt
Les amoureux
Goldoni plus moderne que jamais
Par Franck BORTELLE

Fulgenzio et Eugenia s’aiment comme chien et chatte. Il aboie vite mais ne mord guère. Elle sort les griffes plus souvent qu’à son tour, féline et immensément goldonienne, avec sa certitude d’être désirée et d’en jouer jusqu’à l’usure du soupirant, le manipulant au rythme d’une douche écossaise qu’elle fait couler sur sa longanimité. Son arme à elle : la jalousie à l’égard de la belle-sœur du ténébreux Fulgenzio qui de son côté traque les moindres indices qui le persuaderont de l’ingratitude de sa bien-aimée. Quel mariage possible avec de pareils candidats ? Heureusement la famille et le voisinage veillent…
Prochainement à la Comédie Française, actuellement dans plusieurs théâtres parisiens, Goldoni a le vent en poupe. Chronologiquement entre Molière et Musset et contemporain de Marivaux et Beaumarchais, l’inventeur de la comédie italienne moderne est lui aussi un auteur à femmes. Le beau sexe y culmine du haut de ses sommets de coquetteries, d’activisme et de stratégies de la séduction. La femme goldonienne agit là où l’homme s’agite. Meneuses dans « Barouffe à Coggia », elles déclenchent dans « Les Amoureux » la plupart des ressorts dramatiques, faisant véritablement tourner en bourrique leurs hommes, comme en témoigne un des moments de cette adaptation formidable de Gloria Paris, également impliquée dans l’excellente traduction du texte.
Une mise en scène en perpétuel mouvement
Un immense mur blanc avec trois portes menant aux appartements de l’oncle d’Eugenia laquelle vit là avec sa sœur. Nous sommes dans un vestibule, lieu de passage où commence l’intimité sans vraiment être totalement consommée. Juste quelques marches d’escalier permettent de s’asseoir. Mais le repos n’est pas de mise dans cette adaptation, qui suggère un mouvement perpétuel, l’amour étant chose trop sérieuse pour être susurrée dans des fauteuils profonds. Trop intemporelle aussi pour s’encombrer d’accessoires d’une autre époque.
Gloria Paris opte pour une ultra modernité de mise en scène. La couleur blanche domine. Le regard ne s’égare pas et même si les costumes sont d’un chic exquis, ce sont les comédiens qui catalysent l’attention. A la drôlerie de leur phrasé, de leur gestuelle, de leurs accoutrements parfois, s’allie l’excellence de leur performance. Leur rage de jouer les porte, superbes dans leur partition respective conférant de facto une impeccable homogénéité à l’ensemble. Ils insufflent ainsi toute la verve sanguine à ce grand moment de théâtre fort de mimes et de mimiques aussi fidèle à l’emphase italienne de son auteur dans le fond qu’audacieusement anachronique dans sa forme.