Critique - Théâtre - Paris
Une des dernières soirées de Carnaval
Adieu à la Sérénissime
Par Noël TINAZZI
Quitter Venise ! C’est le sujet principal d’Une des dernières soirées de Carnaval, pièce méconnue de Carlo Goldoni. L’auteur vénitien par excellence y décrit avec la légèreté qu’on lui connaît la difficulté de s’arracher, même temporairement, à sa ville natale. Et à son public qu’il régale de comédies pétillantes écrites dans sa langue - ou plutôt son dialecte - , où il se démarque de plus en plus des stéréotypes de la commedia dell’arte.
Las des cabales lancées par ses rivaux, Carlo Gozzi et Pietro Chiari, le dramaturge prend congé avec cette pièce, la dernière composée et présentée à Venise (en 1762), avant de rejoindre Paris où on lui offre un contrat de deux ans à la Comédie des Italiens. Il ne quittera plus jamais la Ville lumière, et adoubé par le pouvoir royal, il y mourra en pleine Révolution, en 1793, ruiné, à 85 ans.
Cette Dernière soirée de carnaval, qui à Venise marque la fin de la saison théâtrale avant le carême, est donc aussi et surtout une dernière vénitienne. Dans une mise en abyme très moderne, Goldoni y multiplie les adresses à son public et les piques à l’égard des critiques placées dans la bouche de tel ou tel personnage de la pièce qui en compte une bonne douzaine.
Les convives arrivent au compte-goutte dans la maison de Zamaria (Daniel San Pedro), tisserand aisé de Venise, veuf aimable qui assisté de sa fille unique, la charmante Domenica (Juliette Léger), donne une fête de clôture des festivités de carnaval. Cette microsociété de la bourgeoisie de Venise qu’il connaît bien pour en être issu, Goldoni la peint avec les visées dramaturgiques de celui qu’il considérait comme son maître, Molière, à savoir le naturel. Et c’est le même naturel que vise Clément Hervieu-Léger, pensionnaire de la maison de Molière, la Comédie française.
Hymne vibrant à la patrie
Sans grande innovation mais avec beaucoup de charme, le metteur en scène, servi par une troupe de comédiens très réactifs, réussit à rendre le naturel d’une soirée entre amis plus ou moins chers, plus ou moins bien intentionnés les uns vis-à-vis des autres. Avec chacun ses traits de caractère, ses travers insupportables pour d’aucuns, ses qualités attachantes pour d’autres.
L’atmosphère d’authenticité est rendue également par les beaux costumes d’époque signés Caroline de Vivaise et la simplicité des décors qui tiennent à quelques éléments de mobilier : sièges faciles à déplacer par les acteurs qui s’y collent eux-mêmes sans barguigner pour faire place à la table du banquet, laquelle disparait ensuite en un tournemain pour le bal final. Bal qui, avec des musiques et des mélodies populaires d’époque chantées par Erwin Aros, joli timbre de haute-contre, puis reprises en choeur, est le point d’orgue de cette soirée d’adieux.
De ce spectacle, qui pèche seulement par sa longueur (près de 2h30), sourdent le charme et la mélancolie discrètes des pièces de Tchékhov, celles particulièrement où l’on est sur le départ. Justement, l’un des convives, le jeune Anzoletto (Louis Berthélémy), double manifeste de Goldoni, brillant dessinateur pour tissus, est appelé à Moscou pour y exercer ses talents. Déchiré entre sa carrière et son amour pour la fille du maitre de céans, le jeune homme réussira-t-il à joindre l’utile et l’agréable en emmenant sa tourterelle ? C’est un des enjeux de la pièce peuplée par ailleurs de portraits drôles et savoureux, brossés à petites touches.
A la satisfaction de tous, Anzoletto finira par enlever le morceau. Non sans avoir au préalable lancé un hymne vibrant à sa patrie vers laquelle, promet-il, il reviendra. Comme on le comprend !