Une seule en scène – dans tous les sens du terme. La solitude sans fond d’une femme exilée à Venise. Cloisonnée dans une chambre d’hôtel, la ville n’est qu’une toile de fond, comme le monde d’ailleurs. La télévision et la radio lui parlent, mais elle n’entend plus rien. Rien sur le plateau, qu’un tabouret, un verre d’alcool, et son corps, qui incarne à lui-même la chambre d'écho de cette relation douloureuse avec un homme, dont elle a été la victime humiliée et traumatisée, qu'elle nous raconte de façon fatalement elliptique. La comédienne Clémence Caillouel théâtralise ce recroquevillement intime, force de questions posées, d’incompréhension, comme un chant du cygne. Son interprétation est sur le fil, vacillante, d’une femme au regard d’enfant perdue.
"Aucune montagne, aucune forêt, aucun désert ne nous délivrera du mal que les autres trament à notre intention" Car c’est bien de cela dont il s’agit : la désertification de la relation, l’amour qui fuit, puis l’empathie, le respect. La servilité, la docilité, la sécheresse des rapports qui se transforme en déshumanisation de l'autre. L’air triomphal du vainqueur, la bouche bée de la vaincue. La perte de soi-même et de sa force.
La psyché individuelle d’une femme bafouée, et, comme une déflagration dessinant des cercles concentriques à partir de cette violence morale et interpersonnelle, l’atteinte au corps, l’atteinte à la vie, la banalisation de la violence physique et généralisée dans la psyché collective. Celle qui se raconte est peut-être une autre femme que Paulina, 16 ans, mexicaine tuée à Ciudad Juarez, comme des centaines d’autres. En citant ces femmes tuées dans ce féminicide tristement connu, elle opère un crescendo, entre l’humiliation banalisée dans l’intimité, à la mise à mort concrète, clinique, protocolaire à l'autre bout du monde :enlevée – violée – battue – assassinée.
Si la solitude psychologique des femmes occidentales est un abîme, la solitude physique est chère payée pour d’autres. Les origines du mal sont pourtant les mêmes, et c’est cette généalogie invisible, transfrontalière et antédiluvienne qu'elle fait apparaitre devant nous. Un récit de survivante, parmi les autres survivantes, éprouvant et nécessaire.