Critique - Avignon Off
Rien ne saurait me manquer
Histoire d'avoir envie
Par Anouk PELLET
C’est à peu près à ces mêmes questions que semble ici répondre la compagnie à travers un autoportrait générationnel, sur la génération dite « Y » qui se déploie au rythme d’un sprint, une course frénétique bondissant entre plusieurs saynètes et interprétée par le trio Agathe Charnet, Lillah Vial et Vincent Calas, parfaits chantres de la névrose 2.0.
Une course erratique aussi, entre l’avenir crépusculaire et l’héritage de plomb, entre le monde de l’enfance qui s’attarde et la quête d’émancipation, entre les injonctions au bonheur et les exhortations morales, tiraillée entre le rêve d’être cigale et la nécessité de devenir fourmi.
Chronique de l’insatisfaction d’insatisfaits chroniques, en somme. Voilà qui aurait pu donner une réflexion réchauffée et souvent malhabile, caricature du désœuvrement de vies connectées et vides de sens, dont on nous rabâche le discours ad nauseam. Mais, à rebours d’une désolation rituelle pour une génération atrophiée, qui ne saurait que cliquer et consommer, un simple cri de lucidité, souvent hilarant, sur nos contradictions. Et la plus évidente : la génération Y est souvent objet d’analyse, tout le monde en parle, mais rarement elle-même. En témoigne une parodie géniale d’une émission radiophonique qui ponctue le spectacle, et convoque à sa table les commentateurs prescriptifs habituels, un vieux barbon décliniste qui ergote sur le collapsing syndrome, et une maitresse ès Epicure qui lui répond à coup de préceptes de philosophie antique.
C’est donc une course à l’autocritique à laquelle ils s’attellent sur scène, cherchent et trouvent les armes, ciblent et tirent joyeusement à vue sur les modèles de réussite qu’on essaye de nous servir sur un plateau : la statuette des Oscars et remerciements sucrés et ridicules de Dolan et Cotillard, l’egotrip de Mélanie Laurent, le modèle flexi-sécuritaire danois, le saint Graal CDI accompagné de sa cohorte de coaching managérial, grands préceptes de la performance et techniques de survie dans la jungle de l’open space. « 8 fois couché, 9 fois debout » annône un employé d’une entreprise sous les encouragements de la psychologue du travail, comme une méthode Coué pour les 40 années qui lui reste à travailler.
A la fin de la course effrénée, que reste-t-il ? Les questions qui subsistent. Que nous est il permis d’espérer ? Et à quoi rêve-t-on ? Cette dernière est posée à des personnes dans le public ; « arrêter de travailler » répond l’un, « avoir une vie paisible » répond l’autre. Des rêves désormais conformistes teintés d’une immense fatigue, mais des envies d’ailleurs et d’autre chose, bref l’envie d’avoir un peu envie.