Critique - Spectacle musical - Avignon Off
NinaLisa
Un engagement musical militant
Par Michel VOITURIER

Thomas Prédour s’est emparé de la biographie de Nina Simone (Caroline du Nord, 1933- Bouches –du-Rhône, 2003) afin d’aborder une série de thèmes qui nourrissent un spectacle métissé : concert de jazz, récital de chant, dialogue théâtral, analyse des relations mère-fille, témoignage au sujet du racisme ordinaire, esquisse d’un regard critique sur le fonctionnement du showbiz. Pour cela, il s’est entouré d’une équipe exceptionnelle grâce à qui l’ensemble constitue un spectacle équilibré, chargé de sens, porteur de plaisir.
Le décor évoque vaguement un bar à jazz. Il possède en fond de scène une sorte de grand paravent. Un paysage y est évoqué entre des montants rectangulaires. Outre sa présence ornementale, il servira d’écran pour les projections documentaires puisées dans le réel, pour des apparitions en ombre chinoise de l’évocation mentale de la présence potentielle de Nina, pour le rappel de croquis utilisés en cours d’action. Il est aussi l’élément qui, servant de coulisse, ouvre sur l’espace virtuel du théâtre.
Un coffre volumineux s’inscrit au centre du plateau. Son usage initial est celui de praticable : on s’y assied, on y monte comme sur un podium ou une scène. Lorsqu’on l’ouvre, il devient vieille malle de grenier à souvenirs : vinyls 33 tours de Nina, Myriam Makéba et autres jazzmen, bouquins à elle consacrés, biographie, farde à dessins… Tous éléments qui jalonnent un parcours de vie.
Cela est l’emballage de la création. Mais l’essentiel est dans l’équipe humaine réunie. Celle qui a réalisé le montage vidéo, celle dont les costumes colorent les corps, celle qui a conçu des éclairages d’ambiances diversifiées. Celle qui a composé les surtitrages sans lequel une majorité des spectateurs ne comprendraient pas les textes engagés des chansons en anglais. Et enfin, celle qui joue face au public.
Deux chanteuses dotées d’une présence vocale et physique impressionnante et capables d’être les comédiennes qui disent avec justesse un texte épousant des émotions panachées, entre rancœur et tendresse, entre colère révoltée et mélancolie, entre tristesse infinie et joie de vivre, écartèlement lorsqu'il faut choir entre défense d'un peuple et amour maternel. Isnelle da Silveira est Nina Simone. Elle y met son énergie, sa conviction, son sens de la mélodie. Dyna est Lisa, d’apparence plus frêle mais tout autant bourrée de vitalité et de détermination. Qu’elles chantent en solo ou en duo, leur connivence est permanente.
Au piano, enfin, c’est Charles Loos. Pareil à lui-même, homme de musique qui fait corps avec son instrument, qui fait oreille avec les chanteuses pour une harmonie fusionnelle avec ce qui se clame ou se susurre. Discret et présent, soutien et valorisateur. Formant un trio qui fait oublier l’inconfort des sièges de la salle.