Est-ce pour cela que le personnage d'Hamlet joué par Jérémie Le Louët déambule les épaules voutées, la démarche moribonde et le dos courbé ? A-t-il trop endossé ? Son héritage est-il trop pesant ?
Hamlet, ce prince du Danemark, récemment orphelin de père, doit faire face au remariage, vécu comme une trahison, de sa mère. Il exècre son nouveau beau-père qu'il pense être l'assassin du roi son père suite à une apparition fantomatique de ce dernier. Sa soif de vengeance entraine par la suite meurtres et abandons des personnes qu'il aime.
L'intrigue bien connue et la langue sont conservées dans le travail de Jérémie Le Louët. Le texte est parfois enrichi de passages adaptés, réécrits voire inventés. Lorsqu'il y a une coupe, elle est brutale, à l'image du « être ou ne pas être » avorté une première fois avant que l'acteur ne s'en ressaisisse un peu plus tard sur un ton ironique.
Le jeu avec les attentes du public se poursuit au travers de réminiscences picturales telles que le crâne de Yorick ou l'Ophélia de Millais représentée sur une sorte de foulard que l'on pourrait trouver dans la boutique de souvenirs du Tate. Un produit dérivé d'une œuvre dérivée, un produit en série qui questionne le statut actuel du chef d'oeuvre qu'est Hamlet.
Le plaisir du texte et de cette mise en scène vient donc de la mise en lumière de ce sous-texte – les différentes interprétations dramaturgiques - mais aussi de ce « sur-texte », les strates éminemment nombreuses de lectures : de Goethe en passant par Lacan et Freud. Ce discours, parfois plaqué, est symbolisé par des figurines en carton à l'effigie de Freud, de Shakespeare qui côtoient les acteurs tout le long du spectacle. Sorte de fantoches en une dimension.
Jérémie Le Louët fait entendre et résonner le texte autant dans ses choix de mise en scène que dans son parti pris de jeu concernant le personnage d'Hamlet qu'il incarne. Il allie univers macabre et célébration kitsch en modernisant les costumes et en optant parfois pour un type de jeu et un burlesque noir à la frères Cohen. Les références cinématographiques sont d'ailleurs nombreuses et les acteurs, dont l'homogénéité de jeu n'a d'égale que leur justesse, s'en emparent joyeusement.
On peut peut-être seulement regretter le traitement du spectre du père en vidéoprojection. Là où l'apparition faisait trembler les spectateurs au 17ème siècle, la figure du fantôme, largement popularisée et parfois rendue comique durant le siècle dernier, fait moins peur aujourd'hui et génère même, dans la mise en scène, une forme de sourire là où le ton reste pourtant sérieux. Cette difficulté à trancher entre respect du texte classique et modernisation crée par moment certaines longueurs ; bien souvent écourtées par une idée judicieuse ou une intervention convaincante de l'un des acteurs.