Cela fait assez longtemps que les écrivains et les cinéastes sont fascinés par les personnages qui entretiennent le mystère autour de leur vie et de leur travail. C’est évidemment une matière génératrice que les existences multiples d’un individu endossant des identités variables, se coulant dans la peau de gens hétéroclites, de personnalités à comportements instables, capables de manier avec dextérité vérités et mensonges. D’autant plus lorsqu’il est question d’un être dont la fonction principale est de produire de la fiction en tant que romancier ou scénariste.
Le pari posé par ce spectacle était hasardeux tant la biographie (du moins celle qui est connue) était foisonnante d’épisodes, de métiers, de contrées, d’engagements militants, d’hypothèses aussi farfelues qu’interpellantes. La forme est celle du fragment. Les protagonistes changent, les décors aussi, la chronologie également. Le spectateur est emmené à gauche et à droite, en Europe et en Amérique.
Heureusement, il y a les surtitres ou une voix off pour donner des indications permettant, sans perdre le(s) fil(s) à travers d’incessants sauts spatio-temporels très cinématographiques. Le cinéma (le roman de Traven « Le trésor de la Sierra Madre » a été mis en scène adapté par Hollywood) est récurrent à travers des vidéos, des allusions, des analogies entre des fictions et des événements historiques.

Une fresque spectaculaire et politique
Les décors sont composés d’éléments réels mais aussi de projections. Les costumes et les maquillages, parfois les masques, sont des repères parmi toutes les pistes brouillées qui se succèdent en un rythme plutôt galopant de changements à vue d’une fluidité de fondus enchaînés. Les intervenants incarnent une foultitude de rôles dont certains, comme Trotsky ou Rosa Luxembourg, sont de véritables citoyens historiques dont les biographies sont connues.
Indubitablement, les comédiens ont pris un plaisir à multiplier les interprétations. Ils passent, selon la méthode Traven, d’une identité à une autre avec la même énergie que celle qui nourrit un spectacle assez long. Il brasse en effet des événements politiques souvent reliés à des contestations plus ou moins réprimées ou écrasées par les régimes en place, qu’il s’agisse du maccartisme étasunien ou de révoltes sanglantes à travers la planète.
Ce parcours un peu fou qui relève de l’enquêté policière ou du journalisme d’investigation ne connait guère de baisse de rythme d’autant que les acteurs se révèlent tous excellents corporellement, vocalement et nuancés dans des interprétations qui zig-zaguent entre la farce et le drame, la comédie et la critique socio-politique.