Une salle poussiéreuse et décorée par des “croûtes” au mur, des odeurs de campagne pestilentielles, des rideaux troués, une femme qui tousse, le pauvre Bruscon semble décidément maudit. Le voici avec toute sa famille dans ce “trou infame”, pour jouer ce qui semble être un grand chef d’oeuvre : une pièce faisant se rencontrer Churchill, Napoléon, Eisenhower ou encore Hitler. Dirigeant la mise en scène et le jeu de ses pauvres comédiens, Bruscon passe son temps à rabaisser ouvertement son entourage dans un manège de mots et de répétitions à la noirceur comique.
Bruscon est la caricature de l’homme bourru, blasé, plaintif, détestable à souhait. Dans ce texte de Thomas Bernhard, satire exquise autrichienne, on retrouve dans sa solitude cet homme de théâtre entouré de ce qu’il appelle des “non talents”. Un chapelet de caractères drôles malgré eux : un technicien d’une bêtise excellemment bien jouée, une femme traumatisée par la méchanceté de son époux, des enfants tournés au ridicule, tous victimes du sadisme de Bruscon.
Et c’est bon ! Bon dans l’interprétation, bon dans les dialogues, bon dans les corps, les visages, les situations… On y retrouve dans ce personnage l’oncle, ou le grand père méchant et aigri, ce râleur charmant qu’on a tous un jour rencontré. On y croise la fille niaise mais gentille et dévouée, le fils qui presque sans un mot parvient à incarner un ado attardé et hyperactif, et la pauvre femme qui ne fait qu’en prendre pour son grade.
Dans cette comédie où André Marcon se plaît à nous déplaire, la misanthropie est à l'honneur. On assiste impuissants à la montée de la mégalomanie de son personnage drôle bien malgré lui. Un texte brillant sublimé par l’interprétation de toute une équipe dans un décor magnifique de théâtre en miroir, d’une musique volontairement dérangeante, et d’une présence négative au centre de tout : celle de Thomas Bernhard.