Ce « Misanthrope » apparaît plutôt classique. Alain Françon a manifestement mis l’accent sur la diction. Les alexandrins de la pièce sonnent comme une musique traditionnelle sans cependant ennuyer. Il est vrai que les mots, dans une comédie où s’exprimer est un thème essentiel, ont ici une importance à nulle autre pareille.
Cela atténue l’aspect comique de ce portrait de société où une importante majorité de personnes est prête à encenser pour se faire bien voir par ceux qu’elle dénigre lorsqu’ils sont absents. Sans doute est-ce à cause de cette focalisation sur la langue que la représentation donne l’impression d’un travail relativement impersonnel. Au point d’accréditer l’idée que Molière a bâti son intrigue autour d’innombrables ‘mais’ utilisés en tant qu’adverbes d’opposition. Il faut reconnaître d’ailleurs qu’il y en a quasi une centaine !
Les signes scéniques que le metteur en scène a dispersés sont censés révéler le fonctionnement sociétal lié aux coutumes et rituels de la cour de Louis XIV, démontrer une stratégie du pouvoir menant à une soumission passive des courtisans et de leur classe sociale.
Certes, le décor est imposant et écrasant, comme l’autorité régalienne. Certes, les gens font antichambre chez Célimène et ne semblent véritablement admis que s’ils louent ou dénigrent selon les humeurs du moment. Certes, la justice fait perdre à Alceste un procès où il avait le droit pour lui face à un cuistre. Ces indications-là sont trop ténues pour amener une dynamique particulière à cette œuvre.
Bien sûr, on grappille çà ou là des indices dramatiques intéressants. L’éclairage parcimonieux, côté jardin, qui permet à l’atrabilaire de se réfugier dans l’ombre avant d’asséner en pleine lumière sa vérité sans fard. Les hautes fenêtres qui, selon qu’on ferme ou ouvre les volets, semblent suggérer que la liberté est en dehors des bâtiments enfermés sur eux-mêmes. Et les arbres givrés du lointain accentuent la froideur de l'ensemble.
Tout cela semble bien pauvre si on compare cette version plutôt austère de Françon à la richesse pétillante de celle de Serron qui n’a pas craint d’ouvrir les lieux et non les fermer, de faire éclater – sans porter atteinte au texte originel - les papotages dénigreurs voire diffamateurs avec l’arrière fond des réseaux sociaux.