Critique - Théâtre - Villeneuve d'Ascq (Lille)
Please, Continue (Hamlet)
Hamlet, côté cour d’assises
Par Michel VOITURIER
Insolite représentation que celle d’un tribunal composé de magistrats et avocats puisés dans le vivier judiciaire local, devant un public dans lequel on a tiré au sort des spectateurs appelés à être les jurés d’un procès en cours, joué par des comédiens professionnels. Insolite situation que de se retrouver dans une salle où se joue un drame avec ses codes théâtraux qui se voient confrontés aux codes de la justice amenant un prévenu à être innocenté ou condamné.
Hamlet donc, au cours d’une soirée de mariage bien arrosée, tue Polonius, le père de sa fiancée Ophélie, devenue désormais partie civile. Tel est le point de départ d’un procès qui devra déterminer si l’accusé a commis un meurtre, un assassinat ou n’est que responsable atténué d’un accident malheureux survenu lors d’une bagarre.
Il s’agira par conséquent pour le président du tribunal, le procureur, l’avocat de la famille, celui de la défense et un expert psychiatrique, orchestrés par un huissier, de tenter de démêler le vrai du faux. Ainsi, la réalité s’invite-t-elle au cœur même du théâtre, temple de la fiction. Le cinéma et la télévision ont souvent montré qu’un procès face à un tribunal, surtout en cour d’assises, offre des similitudes avec une pièce dramatique.
Les plaideurs, et parfois le président, jouent un rôle. Ils improvisent ou récitent des paroles qu’ils ont préparées. Il y a souvent une sorte d’escalade dans les arguments, les interrogatoires. Quand ce n’est pas dans les réactions du prévenu, des parties civiles, des témoins, voire de l’assemblée. Des rebondissements peuvent surgir. Le suspense du verdict reste entier jusqu'à la révélation finale.
Une réalité confrontée à la fiction
Le concept proposé par Yan Duyvendak et Roger Bernat a donc tout pour être assimilé à une représentation théâtrale. Et pour les spectateurs qui n’ont jamais eu l’occasion d’être présent dans un tribunal lors d’un procès, c’est une expérience intéressante qui permet de réfléchir au fonctionnement de la justice, de s’interroger au problème des jurys populaires, aux libertés accordées aux avocats dans nos démocraties, au sens à accorder à la vérité judiciaire, à la présomption d’innocence…
L’expérience a cependant ses limites. Dans les fictions filmées, les répliques sont minutieusement préparées par des dialoguistes qui ménagent la montée en puissance des effets dramatiques. Ici, elles dépendent du talent ou du dynamisme des professionnels invités. Comme tout le monde, ils ont des jours sans. Ici, l’enjeu est minime car chacun sait que, puisque rendus célèbres par Shakespeare, les personnages sont fictifs, ce qui atténue d’autant que la tension émotionnelle. Sauf peut-être pour la poignée de personnes désignées en tant que jurés.
De tout cela demeure le plaisir d’avoir participé à une expérience plaisante, complétée par les informations comparatives des jugements émis dans divers pays lors des représentations précédentes. D’avoir assisté à une très attachante interprétation et composition de personnages censés être issus du peuple, désemparés face à l’appareil judiciaire, vulnérables, pas très diserts, embarrassés dans leur langage et leur comportement physique. Bravo à Monica Budde, Claire Delaporte et Thierry Raynaud !