Parfois, les atterrissages inopinés ont du bon. Un changement de trajectoire de dernière minute nous a conduits sur les pas d’une création qui se joue actuellement, et jusqu’en mars prochain, au théâtre de Belleville. Sur un sujet délicat : la présence et la place des femmes en politique. Raconté par un homme, Nicolas Bonneau. Glissant ? Oui mais une glissade réussie qui parvient, par des pirouettes oratoires, à nous parler au cœur.
Un conte politique
Non sans délicatesse, le comédien met en scène les dangers de son machisme, les écueils de sa virilité et les faiblesses de sa prétention. Très vite, il reconnaît les avantages de son statut : homme, blanc, CSP+, hétérosexuel. Et, en ceci, les moult privilèges qui en découlent : forts, puissants, dominants… Exécrables clichés balancés de manière volontairement brutale dès les premières minutes de la pièce au micro, avec un sourire narquois qui créé d’ailleurs une crainte passagère quant à la suite de la pièce - crainte finalement très vite déconstruire lorsque le comédien abandonne ce micro vociférant pour nous raconter les raisons intimes de cette création. Avec cette énergie captivante du parfait conteur.
Après avoir largué, au lycée, une certaine Caroline qui avait mis à mal sa virilité en prenant une envergure trop importante à son goût, et après avoir maltraité quelques autres copines par la suite pour se venger de cette « humiliation », il décide à 45 ans qu’il est temps de questionner ces simagrées. Qui, loin de flatter son ego, ont fini par lui faire perdre toute estime en cette image stéréotypée du mâle. Pour explorer ses propres limites, il est allé à la rencontre de ces femmes qui luttent pour l'égalité. Or, quel meilleur lieu pour le faire ? La politique ! Lieu archétypal du machisme.

Femmes, je vous aime
Au terme de deux années d’entretien, Nicolas Bonneau a suivi des femmes politiques dans leur quotidien, de gauche ou de droite, élues locales et nationales, connues ou moins connues. Quelques noms ? Ségolène Royal et sa conscience aiguë du monde ; Angela Merkel et son merveilleux machiavélisme ; Simone Veil et sa verve authentique ; Margaret Thatcher et son charisme de fer… Il relate là, devant nous, pendant 1h15, ces conversations privilégiées via des chaises qui s’avancent vers lui comme par magie. Il n’hésite pas à porter des talons, moduler sa voix, adoucir ses expressions ou les durcir, emprunter l’accent British quand il le faut. Bref, il se mouille pour leur donner vie au travers de saynètes souvent drôles, éclatantes et émouvantes, aussi. Il les imite avec respect, pour ne pas dire admiration, conscient de la difficulté que c’est de vouloir du pouvoir dans un quotidien de femme.
Dans cette composition qui martèle, en filigrane, la nécessaire égalité entre femmes et hommes, Nicolas Bonneau dégage une vive sensibilité soutenue par une scénographie intimiste et ingénieuse. Avec cet arbre, ou plutôt, cet escalier de chaises hétéroclites autour duquel il circule pour y sortir des objets, grimper, se cacher ou se perdre dans les méandres d’instants poétiques ; quelques moments suspendus au cours desquels il sort de son rôle d'imitateur pour murmurer l’histoire d’une femme qui échappe à ses tortionnaires, seule avec son bébé. Pour témoigner ô combien le combat des femmes exige une force extrême et un courage sans relâche. La bataille, comme le rappelle Nicolas Bonneau lorsqu’il parle de ces hommes politiques vieillissants qui reluquent les jeunes femmes à l’Assemblée Nationale comme si c’était un dû, une autorisation tacite, un jeu - "ahah, c’est drôle de mettre une main aux fesses d'une jeune femme (assistante, bien sûr !), hein" - est loin d’être finie.
« Qui va garder les enfants » est une pièce nécessaire qui séduit par cette volonté de tordre ses propres clichés intérieurs. Une belle leçon pour tous les hommes et pour ces femmes encore prisonnières du sexisme ambiant.