Cathy mène une vie normale, plutôt fastidieuse, travaillant avec son mari dans la pharmacie héritée. Elle a accouché de deux enfants. Sa vie est une petite rivière assez tranquille. Alors, le jour où des rumeurs se répandent qu’il faut manifester contre un spectacle provocateur du metteur en scène Romeo Castellucci, elle se laisse convaincre, un peu par sa foi plus traditionnelle que réelle, beaucoup pour vivre quelque chose qui la sorte de sa routine sans grand horizon.
Elle rencontre d’autres personnes. Elle participe à des réunions où on discute. Elle est assez vite persuadée qu’il convient de défendre les valeurs séculaires qui sont malmenées dans un siècle de laisser-aller. Elle finira par s’intégrer aux manifestants contre le mariage pour tous. Elle s’exalte. Elle est introduite auprès de personnalité qui, auparavant, la dédaignait. La voilà au même rang que les notables conservateurs du coin. Pendant ce temps, ses deux fils évoluent de leur côté. L’un flirte avec des jeunes plutôt d’extrême droite. L’autre fréquente des milieux plutôt libertaires.
Marine Bachelot Nguyen a construit son texte de manière particulière, susceptible de donner un ton à son seule-en-scène. C’est d’abord une narration, à la troisième personne. C’est alternativement une confession à la première personne. C’est également, comme une sorte de refrain cyclique, une adresse à la salle, via l’interpellation du ‘vous’ sous forme de questions qui viendraient autant du personnage de fiction interprété que de la comédienne s’interrogeant à propos de son rôle.
Une réminiscence du réel
Dans le théâtre de Villeneuve-d’Ascq, où fut montré le spectacle de Castellucci derrière un impressionnant cordon de C.R.S., le récit prend une résonnance particulière. Il se construit peu à peu, en suivant la chronologie, décrivant la conversion maternelle vers des convictions de plus en plus traditionnalistes. De temps à autre, l’un ou l’autre événement indique le trajet des deux frères. L’aîné, plus bagarreur, vire vers des actes en bande ; le cadet, plus pacifique, s’oriente vers des marginaux où les idées et les comportements bousculent les préjugés sexuels, racistes, religieux. Les événements mènent inéluctablement vers une tension qui devrait éclater un jour ou l’autre, qui mène au drame, même à la tragédie lorsque l’intolérance atteint son paroxysme.
En guise de décor, un parquet, censé suggérer la tranquillité petite-bourgeoise, proprette et conventionnelle. Sur lequel est posé un clavecin, façonné dans un bois similaire à celui du sol, instrument significatif de la musique dite classique, parfois joué dans certaines représentations par un jeune musicien local. En dehors de ce cercle fermé, un espace scénique où se place et se déplace la comédienne, accompagnée des éclairages de Christophe Rouffy.
Ces derniers se veulent aussi, d’une manière spectaculaire assez ambigüe, annonciateurs peut-être de tragique, espèce de ponctuation découpant la pièce en séquences sous l'aspect d'un simulacre de bref éclair accompagné d’un violent bruit sourd. En quelque sorte l’évocation récurrente et équivoque de la foudre divine venant convertir saint Paul sur le chemin de Damas.
Emmanuelle Hiron a intégré le texte. Elle en joue les nuances. Jamais ne cède à la tentation de rajouter des effets superflus dans les moments où les émotions de son personnage sont particulièrement vives et risqueraient de friser le mélo. Sa sobriété ajoute à la conviction de son interprétation. Laissant, après la chute de la dernière réplique, la salle à son questionnement au sujet des dérives moralisatrices, castratrices, communautaristes qui freinent une nécessaire évolution des mœurs. S’il fallait lui reprocher un détail, ce serait, à l’instar de certaines journalistes télévisuelles, d'avoir tendance, dans sa diction, à conjuguer l’imparfè à l’imparfé.