La télé s’est emparée de la parole depuis qu’elle a envahi quasiment tous les foyers. Avant le tsunami des réseaux sociaux débordés par eux-mêmes, elle restait, avec la radio, le medium le plus entendu de la majorité des citoyens. L’emprise des mots envoyés par les ondes est donc considérable et ceux qui les prononcent ont un pouvoir presque absolu sur qui les entendent sans posséder les moyens intellectuels et culturels d’en décoder tous les contenus.
Le décor donne le ton. Il est constitué de panneaux translucides qui accueillent le public en diffusant la fameuse ‘neige’ remplissant les écrans lors d’une panne technique de diffusion. Lorsqu’elle disparaît au moment du noir fait en salle, apparaissent 64 écrans de multiples chaînes de tous bords. Mires, logos, journalistes et présentateurs se concurrencent à profusion.
Très vite, le problème de la communication est posé. Le prologue appartient à un article publié par Novarina dans le quotidien « Libération » en 1988 lorsque la guerre du Golfe s’empare des antennes en préfigurant la pratique désormais courante de l’information continue. Ce qui présuppose une vigilance atténuée quant à la vérification du contenu des messages. Cette mise en garde des premières minutes est suivie par la position humoriste de l’écrivain qui parodie avec délectation le dérisoire, l’absurdité des propos publics.
Ce sont procédés variés similaires à ceux qu’ont initié, en leur temps des Henri Michaux, Jean Tardieu, Eric Clémens, Hélène Cixous et bien d’autres. Ils sont composés de néologismes jubilatoires, de conjugaisons déformées, de syntaxe bousculée, de combinaisons phonétiques inattendues. La langue devient le sujet du propos tenu. Elle séduit par sa musicalité ; elle choque par son impertinence vis-à-vis des codes aussi bien grammairiens que sociaux ; elle intrigue par les signifiés qu’elle débusque.
Inutile de dire qu’il est vain d’essayer de tout comprendre. Il convient de se laisser emporter par le flux des paroles. C’est pour cela qu’il est dommage que la plupart des metteurs en scène de spectacles collages comme celui-ci dédaignent de citer l’origine des textes et les enfilent selon un rythme souvent soutenu. Alors que bon nombre de spectateurs aimeraient, a posteriori, se référer aux publications de l’auteur pour raviver et affiner le plaisir ressenti lors d’une première découverte.
Des textes investis par des corps
Olav Benestvedt fait office de chœur, de commentateur prosélyte, de maître de cérémonie habité de rituels. Le duo Céline Milliat Baumgartner et Rodolphe Poulain épouse les écrits de Novarina au mieux de leur musicalité et se donne au plaisir de la présence corporelle et gestuelle en dynamique énergie. Ils sont juste un peu en dessous de ce qu’on attend, surtout elle, au début parce que le metteur en scène a voulu miser sur une utilisation de la diction qui freine ses potentialités vocales.
Sinon, ils font merveille dans le parodique, dans la dérision, dans la connivence. Ils chantent et dansent avec aisance. Ah ! ce mambo en couple déchaîné ! Ah ! ces pastiches du théâtre russe à la Tchekhov ! Hé hé ! cette nomenclature plus ou moins fictive de figures chorégraphiques illustrées en direct ! Ho ! ces conjugaisons que n’aurait point désavoué Queneau , en guise d’hymne délirant au manuel scolaire de Bescherelle !
Comme si la parole devenait soudain la proie d’une surprise qui en modifie l’usage de manière ludique avec en non-dit une réflexion sous-jacente sur la pensée, l’existence, la communication. Sans négliger un jeu qui s’accommode autant d’une prestation de comédien que de machinistes occasionnels déplaçant leurs écrans décors.
Ceux-ci, grâce à la technologie, affichent des ambiances de lieux hétérogènes, en appellent même au rideau rouge traditionnel en une sorte de mise en abyme. Quant aux sons, les musiques signées Manuel Peskine baignent dans le même humour de caricature intelligente, soutenus par d’efficaces effets de lumière, facteurs évidents d’ambiances variées.