Critique - Théâtre - Villeneuve d'Ascq (Lille)
My revolution is better than yours
De virulents remous cosmopolites
Par Michel VOITURIER
Sans doute le propos de la metteure en scène Sanja Mitrović a-t-il l’intention de nous montrer ces révoltes diverses et successives comme un jeu théâtral afin de provoquer notre réflexion sur le sens à donner au mot révolution. Car tous ces moments historiques n’ont finalement jamais débouché sur un véritable changement des mentalités et des comportements.
Et l’intromission en filigrane d’allusions au film de Louis Malle « Viva Maria » qui transforme un soulèvement en comédie légère dans laquelle s’affrontent Brigitte Bardot et Jeanne Moreau, indique assez qu’il existe une part de ludique dans les instants graves des soubresauts politiques violents. Donc que rêver à un autre monde est d’abord un rêve.
D’ailleurs, le spectacle se présente bel et bien comme un terrain de jeux pour adolescents qui jouent pour du semblant en faisant mine de croire que c’est du vraiment. La mise en scène a des allures de jeux vidéo où on flingue à tout-va. On crée des décors avec des accessoires, on scande des rythmes avec des ustensiles. On se sert même du fameux fond vert qui au ciné ou à la télé permet de filmer un personnage en l’insérant dans un environnement artificiellement campé par une projection photographique.
Finalement, l’ensemble apparaît telle une fresque démontrant que toutes les prétendues ‘révolutions’ qui ont déferlé durant les dernières décennies n’ont abouti au mieux qu’à provoquer des évolutions sociétales plus ou moins marquantes mais rien de plus. Comme si l’Histoire, depuis la fin des régimes des pays qui avaient subi les déviances d’un marxisme récupéré au profit de quelques-uns, était impuissante à profondement changer grâce à la violence militante. Ce que les nationalismes et les fondamentalismes sont en train de prouver depuis les échecs successifs de tous les terrorismes.
Des révoltes ne sont pas des révolutions
La réalisation de Mitrovic apparaît donc truffée de dérision. Elle navigue sans cesse entre, d’un côté, un aspect documentaire indéniable qui se réfère à des témoignages et des images à propos des événements convoqués sur le plateau et, d’un autre côté, un jeu endossé avec dynamisme par les comédiens qui passent allégrement d’un rôle à un autre, possèdent l’énergie corporelle et mentale des véritables performances, retrouvent intact le plaisir ludique de l’enfance. Les trouvailles abondent. Les procédés scéniques varient. L’espace change de dimensions à chaque séquence.
Certes, le fait que les interprètes parlent des langues différentes incarne l’aspect cosmopolite ou global de ce qui se déroule sur notre planète. Mais l’unique élément en contrepoint qui s’ancre dans le réel, c’est le récit, en introduction et en final, du comédien réfugié du Darfour.
Cette confession réaliste, autobiographique, sincère, résonne en tant que manifestation de la très cruelle réalité des réfugiés qui ne cessent d’affluer aux frontières de pays supposés plus accueillants que ceux où les guerres civiles déciment les populations. Le reste de la représentation prend donc un net recul intellectuel, une distanciation aurait dit un brechtien, avec les émotions qui ont rendu fugaces des utopies décevantes.
L’intitulé « Ma révolution est meilleure que les vôtres » contenait bien cette ironie : chaque idéologie de l’exaspération s’avère sans vrais lendemains, pleine de cadavres et sans aboutir à un monde meilleur tout en ayant la prétention de faire davantage alors que la fiction de « Viva Maria » se déroule dans la jubilation artificielle d’une intrigue de divertissement au point d’apparaître de manière fallacieuse comme une sorte d’idéal possible aux yeux d’une jeunesse qui aspire à s’engager.