Traditionnellement, il y a le clown blanc et l’auguste, le second étant le souffre-douleur de l’autre. Ici, pas de clown blanc mais deux augustes noirs. Au début, un artiste débarque ayant terminé sa représentation. Découvrant un public, il revient pour recommencer son numéro. Sa vocation, celle du théâtre, est de susciter l’imagination, de rendre crédible l’absurde ou métamorphoser l’ordinaire, d’incarner une symbolique.
Seulement, cela ne se déroule pas comme prévu. Le décor sonore déconne. Des êtres invisibles parcourent le plateau derrière des rideaux noirs mobiles. L'obscurité remplace la lumière et vice-versa. L’art théâtral, le mime en particulier, perd sa raison d’être. Dans cette solitude, l’artiste se précipite vers une porte de sortie. Peine perdue, elle est bloquée. C’est le huis clos. C'est l'alternance entre présence et absence, réussite et échec. L’enfermement du créateur dans son art désormais inutile.
Mais c’est sans compter la présence d’un complice, sorte de double, de frère, de sosie. Celui capable de pratiquer les mêmes techniques circassiennes ou magiciennes. Celui aussi qui, en miroir, est susceptible de faire apparaître une image négative : le farceur, le saboteur, le plagiaire. En duo, l’aventure théâtrale reprend sous des formes diverses empruntées au répertoire des mimes, des prestidigitateurs, des bouffons.
Les numéros se succèdent sans interruptions, enchaînés par Benoit Créteur et Bernhard Zils avec une énergie généreuse car ces pratiques sont finalement très physiques. Nous voici chez Buster Keaton, Charlie Chaplin, Marcel Marceau, Jacques Tati, Popov, Pierre Etaix, la famille Semianyki… Nous voici dans la poésie mélancolique de La Strada de Fellini et des musiques de Nino Rota, ici remplacées, entre autres, par celles de Kurt Weil. Même si cela s’écroule à la fin, laissant à nu ces coulisses que jamais le public ne voit, demeure la nostalgie des maladresses qui font rire, des gestes et des mimiques destinés au sourire, de la tendresse d’une expression qui n’avait pas encore intégré la méchanceté et la violence.