Critique - Théâtre - Avignon Off
La musica Deuxième
Une partition de théâtre de chambre
Par Michel VOITURIER

Elle et lui assis derrière une table. Ils sont comédiens. Ils découvrent un texte, celui de Marguerite Duras. Ils tâtonnent un peu. Ils montrent clairement qu’eux comme nous sommes au théâtre. Ils ne lisent pas que leurs répliques, ils énoncent aussi les didascalies, ces indications de l’auteur destinées aux praticiens de plateau. S’établit alors un décalage très net entre fiction de l’écriture et des personnages, présence charnelle des acteurs et des spectateurs.
Le travail du passage du lecteur d’un livre à l’intégration d’un rôle par des acteurs se déroule alors par étapes successives, à peine discernables à travers quelques signes dans la voix, les corps, l’utilisation des objets d’un décor aux apparences initialement inadaptées d’une salle de répétitions. Catherine Salées devient Anne-Marie et Yoann Blanc, Michel.
La metteure en scène Guillemette Laurent traite cette partition durassienne avec subtilité. Elle accorde aux mots leur potentiel musical, aux acteurs leur liberté d’interpréter en fonction de leur personnalité sans trahir le contenu des répliques, à l’art dramatique de montrer ses techniques et ses astuces pour convaincre un public qu’il assiste à un moment de réalité au point d’oublier un décor peu réaliste, des contradictions dans le rapport entre répliques et comportement.
Le semblant vrai et le vrai semblant
Ce tour de force singulier que seul le théâtre, spectacle vivant, est susceptible de réaliser et de réussir, est éblouissant. Les échanges entre conjoints désormais disjoints se nourrissent d’imperceptibles nuances, celles qui vont au-delà des réactions psychologiques pressenties, au-delà des simulacres connus puisque chaque être humain a éprouvé, ne serait-ce qu’une fois durant son existence, une rupture.
La pièce passe par andante, adagio, allegro, vivace, moderato, scherzo, agitato agrémentés de nombreux points d’orgue, ces moments où le silence prend sens. Le tempo rejoint aussi la musique elle-même sur laquelle on danse en discothèque, sur laquelle on laisse voguer ses sentiments comme celle de Beethoven qui s’insère avec opportunité.
Les tempos s’associent au temps. Le passé défile en épisodes choisis. Les ressentis jamais exprimés surgissent. Les élans contraires vers le suicide pour l’une, vers des pulsions de meurtre pour l’autre, remontent au jour. Derrière cela, se sent la force attractive vécue durant tant d’années en duo. À travers cela, se dessine l’inéluctable de la séparation irrévocable, associée aux douleurs elles-mêmes inévitables.
La lumière s’avère un des éléments clés de cette réalisation. Julie Petit-Etienne est parvenue à une variété accordée. De l’intimiste lampe de bureau du début à la frontière lumineuse au sol qui transforme un mobilier laissé pour compte en espace vide derrière comme devant, les éclairages n’ont cessé de varier. De rares pleins feux, souvent des éléments mis en valeur, parfois des corps surpris en action ou en attente, des pénombres localisées… De quoi accompagner mots, sentiments, mouvements, mimiques qu’Anne-Marie et Yoann Blanc enchaînent avec une maîtrise nourrie d’une humanité généreuse.