On se souvient du livre de Svetlana Alexievitch, « La supplication », qui valut à son auteure le Nobel 2015 et qui fit l’objet de plusieurs spectacles. En prolongement à une réflexion devenue planétaire, Jean-Michel d’Hoop et sa troupe sont allés sur place pour interroger et filmer ceux qui, maintenant, sont partis revivre dans les environs de la calamité. Mêlant vidéo documentaire, comédiens et marionnettes, l’ensemble atteste que même si la vie a repris, les effets nocifs subsistent.
Une sorte de théâtre aux structures schématisées attend le spectateur. C’est là que se déroulera la projection vidéo, les apparitions des polichinelles expressifs conçus par Ségolène Denis et Monelle Van Gyzegem. C’est des coulisses que surgiront les témoins. Le déroulement du spectacle est simple et efficace.
L’alternance s’organise entre les images projetées sur le rideau blanc du fond, les interventions de comédiens incarnant les citoyens autochtones, les marionnettes symboliques. Celles-ci sont terriblement interpellantes, notamment à cause de leurs yeux dont le regard porte une infinie détresse, un questionnement qui nous arrive en direct. Cette succession permanente entre présence jouée réelle, présence réelle fantasmée des pantins, visions tournées en reflet de la réalité constitue l’anatomie dramatique de la représentation.
Un théâtre au service des réactions citoyennes
Contrairement à la précédente création de d’Hoop où la technologie prenait le pas sur le jeu théâtral, ici, le rapport scène-salle est direct. Il est certes parfois un peu didactique car à propos d’un événement aussi emblématique des problèmes suscités par le nucléaire, il y a des informations indispensables, des renseignements incontournables à connaître. Mais il y a surtout un travail scénique qui porte la parole de ceux qui ont dû trouver les mots pour dire l’indicible.
Travail qui apporte aussi l’impact esthétique des marionnettes manipulées avec délicatesse. L’enfant atteint dans sa chair, que nous ressentons comme pelée, nous offre un visage marqué par l’incompréhension. La femme, dont l’absence se drape dans une robe vide, recevra ultérieurement une tête calcinée. Des individus, géants fabuleux, réincarnations du chœur antique, réminiscences de personnages fréquents dans les cortèges folkloriques de Belgique et des Hauts-de-France, dominent de leur stature les présences humaines, apparaissent régulièrement, muets, inquisiteurs. S’y adjoignent le vénérable sénile en chaise roulante dont le visage et la toux reflètent les atteintes des radiations, sa vieille épouse aigrie rejetant autrui. Puis quelques animaux victimes eux aussi.
Les témoins interviewés, eux, viennent narrer le quotidien, le leur, celui des fonctionnements institutionnels, des mensonges d’état, des interventions médicales, des blessures physiques et morales, des leurres écologiquement optimistes de certains, des espérances déçues vers un avenir utopique mais assumé envers et contre tout de ce pays qui n’est plus « une terre mais un laboratoire », qui a connu une guerre aux ennemis invisibles et aux conséquences impitoyables. Rien n’est dramatisé à outrance, même la musique de Pierre Jacqmin. Des moments franchement drôles succèdent à des interventions plus réalistes qui évitent l’horreur présentée comme support ni d’un quelconque voyeurisme, ni d'une émotivité dérisoire.