Critique - Théâtre - Tournai
Retour à Reims, sur fond rouge
Une honte corporelle et sociale
Par Michel VOITURIER
Le malaise engendré par un changement radical de culture chez un gamin prolo passé au stade universitaire et à celui de personnage médiatisé et écouté, a été décrit par plusieurs écrivains. On se souvient en Belgique de Jean Louvet et de sa pièce « Conversation en Wallonie ». L’œuvre n’est pas destinée au théâtre. Stéphane Arcas a tenté de l’y acclimater.
L’écrit offre un fort intérêt sociologique. Il narre le vécu du rejet de la classe sociale originelle, le prolétariat, pour s’être imprégné d’une culture hautement intellectuelle. En expliquant la genèse de ce dégoût, il aboutit à l’analyse logique de l’apparente contradiction qui a amené toute une frange de la population, réputée soutien de la gauche communiste, à voter ces dernières années pour l’extrémisme nationaliste raciste du Front national.
Longtemps après sa rupture familiale, Eribon, une fois son père décédé, revient vers les lieux et le milieu de son enfance. Il découvre comment et pourquoi la séparation s’est produite, comment et pourquoi il n’a pas cherché plus tôt à renouer avec les siens. Il témoigne également de son homosexualité, facteur qui s’est ajouté à son acculturation. Afin de faire bonne mesure, Arcas y a glissé des propos tenus par Levi-Strauss.
Prenant une optique très différente de celles choisies naguère par Hatat ou par Ostermeier, l’adaptation d’Arcas découpe le texte en monologues dits par des comédiens différents pour que le va-et-vient entre les anecdotes du récit et les réflexions du philosophe passe la rampe. Malgré la présence d’un ventriloque et de son expressive marionnette, l’impression générale demeure d’assister à une sorte de seul en scène en épisodes successifs, presque d’être en présence d’une conférence gesticulée malgré le talent des comédiens.
L’imposant décor construit pour la circonstance relève davantage d’une installation plasticienne que d’un ensemble destiné à mettre en valeur un texte et des acteurs. Il suscite certes une ambiance mais sans véritable lien avec le discours, plutôt une sorte de fantastique empreint de mélancolie que souligne la musique jouée en direct, comme si le metteur en scène avait cherché à se faire plaisir au lieu de se mettre au service du texte dont on se souviendra comme d’une approche sensible et forte du déterminisme social.