Critique - Théâtre - Limoges
Splendeur et lassitude du Capitaine Iwatani Izumi
Arigatô
Par Cécile STROUK
Lorsque nous pénétrons dans le théâtre, une chose surprend : nous sommes installés sur la scène même. Un dispositif tridimensionnel encadre l’espace de jeu réduit à un carré monté sur des tréteaux et décoré de quatre barres d’angle sur lesquelles sont attachées quelques objets. Sensation immédiate de proximité avec le public et la scène, bientôt habitée par un comédien japonais vêtue d’une tenue militaire. Toute cette heure et demie à ses côtés se déroulera en japonais surtitré.
Alors de quoi s’agit-il ? Eh bien, d’un capitaine, Iwatani Izumi, dressé comme un « i », pétri d’un code de conduite irréprochable, envahi par la rigueur de l’ordre. Il nous conte d’abord ses aventures militaires, narrant les beautés égotiques de la guerre et ses horreurs, la mort brutale, la rédemption, le combat, le courage… Puis, au fur et à mesure qu’il retire son costume militaire, le masque de la perfection tombe. Tombe à tel point que l’homme, quasiment dénudé, sombre dans une dépression mortelle, entre paranoïa (exprimée par la ritournelle du « Ne me secouez pas ! ») et schizophrénie (exprimée par un travestissement temporaire en femme).
Dans cet espace réduit, qui s’apparente à une cage voire un cachot, le comédien Keita Mishima propose un jeu remarquable. Il arrive à reproduire tous les masques grotesques dont s’affublaient nos ancêtres pour jouer : les torsions physiques de son visage le font passer de la joie extatique, à une colère sourde, en passant par un désarroi insurmontable et une folie consommée. Le tour de force de cet homme est d’exacerber sans exagérer. Le ridicule volontairement atteint sur scène est maîtrisé de bout en bout, imposant une dignité qui nous attache à ce personnage décadent.
Impossible non plus de ne pas applaudir le choix de la langue japonaise qui rehausse, par cette tessiture aussi douce que brutale, la tension tragi-comique de cette composition. Sans compter la musique, qui s'impose comme une présence accompagnant ce héros ordinaire dans sa chute : chansons militaires désuètes, vieilles chansons japonaises ou reprises de grands standards français (Edith Piaf) se succèdent dans un mégaphone crépitant.
Auteur à 17 ans de cette pièce d'abord écrite en français pour un personnage français, Jean Lambert-Wild revient quinze ans plus tard avec cette adaptation dans une langue qu’il ne maîtrise pas mais dont les sonorités le captivent. Un admirable travail de traduction, de musicalité littéraire et d’adaptation culturelle a été mené pour donner vie à une pièce singulière qui reste dans les esprits.