Au départ, il y a le métro, les rencontres qu'on peut y faire (ou l'absence de ces rencontres), ce qu'il dit de notre société, ce qu'il peut représenter, non pas de possibilités d'échanges inattendus et chouettes, mais de danger en tant qu'espace public partagé entre des inconnus.
L'agression d'une femme dans le métro lillois, une autre agression en rue, celle-ci relatée par le cinéaste Lucas Belvaux dans "38 témoins", vont inspirer la construction d'une pièce de théâtre par le procédé du puzzle bien connu des auteurs de polars.
D'autres problématiques sociétales y seront jointes mais face à la scène d'agression (qui ne sera qu'évoquée) la question centrale sera encore : "Pourquoi personne n'a réagi et n'est intervenu ?" ou simplement "Pourquoi personne n’a-t-il pas au moins actionné la sonnette d’alarme ?" Une petite analyse de ce phénomène de groupe sera proposée...
L'histoire elle-même commence par la fin: un femme décède aux Urgences. Ensuite, les circonstances, les détails de sa mort "accidentelle", seront reconstitués. Loin d'être une banale enquête policière, les séquences de "Kinky Birds" abordent les thématiques de "l'effet du témoin", "la diffusion de la responsabilité", "la non-assistance à personne en danger", "le harcèlement sexuel", "les femmes la mobilité et l'espace public", l'empathie", ce dernier sujet, détaillé sur base scientifique...
On y ajoutera la difficulté d'avoir une bonne relation de couple, d'amitié, intergénérationnelle, ou vraiment humaine à l'époque du smartphone. On passera avec fluidité et par séquences assez courtes, de la rue ou d'une rame de métro à des bureaux du Samu ou de la police - extérieurs/intérieurs et découpage cinéma - grâce à une structure tout aussi souple due à la scénographe Johanna Daenen.
Quatre artistes-jongleurs très habiles se partagent les treize personnages : les témoins ou "dénonciateurs", les soignants, les assistants sociaux, qui tous, vont révéler un point commun qu'ils ont avec la malheureuse victime, Ludmilla, et apporter leur point de vue et leur ressenti sur ce qui s'est passé.
Mise à part Ludmilla, seul personnage de chair, ils ne sont que des types humains, sans réelle personnalité à laquelle s'accrocher. Du reste chaque personnage est de pied en cap habillé (costumes de Marie-Hélène Balau, maquillages et perruques de Zaza da Fonseca) de même couleur; il ou elle se résume à être le/la représentant/e d'une catégorie, comme par exemple: "type populaire", "type femme voilée", "style urbain"...etc.
"Le monde se divise en deux catégories, chaton. Les loups qui dévorent et les gros veaux qui regardent."
Ce constat amer que l'auteure triste met dans la bouche d'un de ses personnages est la conclusion d'une idée, d'une réflexion, d'une recherche, d'une écriture enfin qui deviendra la création scénique d'une jeune comédienne : Elsa Poisot. Assurant aussi la mise en scène, elle s'est entourée de valeurs sûres comme Catherine Salée (multi-talentueuse !), Nabil Missoumi, Imhotep Tshilombo et Deborah Rouach (qu'elle avait rencontrée sur "Chatroom"*, gros succès du théâtre de Poche de Bruxelles qui connut une très largée tournée s'échelonnant sur quatre ans).
La pièce balance entre réalisme et distanciation, impressionnisme et didactisme (on en saura plus sur les neurosciences...) et mélange un peu les époques : le Samu social est daté 2037 et affiche un fonctionnement futuriste alors que tous les indices concordent pour situer l'action principale, même si elle est éparpillée, de nos jours...
Les représentations seront quasi systématiquement suivies de débats avec divers et nombreux intervenants: représentants de la vie associative mais aussi du monde politique.