Festival IN - Théâtre - Avignon
Le Suicidé
Mourir au nom de l'intelligentsia
Par Jean-Pierre BOURCIER
La première du « Suicidé » le 6 juillet dans la Carrière de Boulbon a déconcerté plus d'un spectateur. Pourtant, les talents du metteur en scène et acteur Patrick Pineau, de ses comédiens/comédiennes comme Anne Alvaro, Sylvie Orcier, Hervé Briaux ... (ils sont pas moins de 18 en tout dans la distribution) et de tous les créateurs d'éléments technico-artistiques, sont reconnus. Que s'est-il donc passé ? Car peu de jours après, l'affaire a tournée bien autrement.
Certes, la tension est toujours forte lors d'une première. Et en ce récent 6 juillet, manifestement, les comédiens n'étaient pas vraiment dans leurs habits. Quelques trous d'air, des flottements qui cassent le rythme, des voix qui se forcent. Cette farce, où le lointain mais puissant pouvoir politique s'incruste sans en avoir l'air, patinait pas mal ce soir là. Cette sublime et difficile Carrière de Boulbon, Patrick Pineau la voulait. Etait-ce le bon choix ? Même si quelques jours après, la troupe était à l'unisson, cet énorme espace accueille mieux les légendes, les mythes ou les mystères que l'agitation permanente d'une comédie, même haute en couleur, drôle et grinçante.
Elle est donc promise à un long voyage cette pièce qui nous installe dans une Russie déjà soviétique où chacun cherche un sens à son avenir, s'accommode d'habitations exiguës, de petits boulots. Le -pas encore- « suicidé » Sémione Sémionovitch (Patrick Pineau dans le rôle) est au chômage. Sa femme, elle travaille. Une nuit, il se réveille pris d'une fringale de saucisson de foie ! Pas simple pour la conscience de « manger » une partie du salaire de sa concubine. De là les quiproquos s'enchaînent, surtout quand un voisin croit voir un pistolet à la place du saucisson. Ou encore quand il est proposé au héros de jouer de l'hélicon pour gagner un peu d'argent et ne pas être un "planqué" de la société.
Il se passe toujours quelque chose sur la scène. Les autorités, qu'elles soient politiques, familiales ou religieuses ne lâchent pas le bonhomme et la musique est partout. Sémione doit se suicider « au nom de l'intelligentsia » ! Avec ces personnages, qu'ils soient croque-mort, écrivain, diacre, modiste ou type douteux, Nicolaï Erdman montre là, un monde qui a perdu la boussole, un cirque coincé par un pouvoir qui veut tenir toutes les ficelles. L'auteur est mort en 1970 sans avoir vu sa pièce jouée devant un public car alors interdite. Il était lui-même interdit de théâtre.